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Salut la team ça va ? Nous aussi très bien, bonne année au fait. On voulait vous proposer un gros truc mais finalement ça suit pas du coup il fallait improviser. Le dubstep meurt à petit feu et comble de l’ironie ça fait dix ans que le Fabriclive 37 est sorti. Certains vont vous dire que c’est ce disque a enterré le genre, d’autres vont s’éclater les veines et venir vous dire à quel point les puristes sont un cancer pour la musique. Du coup : improvisation. Quoi de mieux pour remonter le moral des troupes en ce début d’année 2018 qu’une bonne remise à niveau qui met tout le monde d’accord : les origines de notre chiasse commune, le Dubstep. Et oui vous l’avez bien compris on va parler de Big Apple aujourd’hui !

Je pense que revenir sur Big Apple en tant que label exclusivement est une hérésie tant cela occulterait beaucoup de passages sur l’histoire du genre. À l’origine Big Apple était un magasin de disques situé à Croydon, dans le sud de Londres et qui appartenait à John Kennedy. Le magasin fut ouvert de 1992 à 2004. Kennedy était surtout actif en tant que dj de Techno et de House à l’époque de l’ouverture du magasin. Un des points les plus importants à savoir sur ce Kennedy dans notre petite histoire c’est qu’il était un bon ami d’un certain Neil Joliffe, sur qui nous reviendrons plus tard : tout ce que vous avez à savoir c’est que ce gars est derrière Tempa et surtout Ammunition qui est la grande société gérant tout ce merdier.

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Dans les employés de Kennedy au shop vous pouviez retrouver un certain Hatcha (le mec qui touche les boobs sur la photo là) qui était derrière le comptoir, ainsi qu’Artwork qui était un ami des deux et passaient ses journées avec eux. Le magasin vendait principalement des disques de Techno à ses débuts, néanmoins il a vite élargi son champ avec un étage entier dédié à la Jungle et au Drum & Bass : c’était à cet étage que travaillait Hijak (le frère de Skream) et DJ Bailey (qui est maintenant Dj résident sur BBC Radio 1). Autre point intéressant de ce shop : il y’ avait un studio d’enregistrement. Studio qu’Artwork a très vite rejoint pour y travailler, étant lui même producteur sous de nombreux alias (Menta, Grain). Dans les têtes connues qui trainaient beaucoup à Big Apple, vous pouviez également retrouver Benga et Skream, qui à cette époque était des gamins de 14, 15 ans. Le dernier élément à avoir vraiment impacter l’histoire Big Apple est bien entendu Benny Ill, qui avait rencontré Artwork autour de masterings de morceaux pour un producteur suisse de l’époque. Ce qu’il faut bien comprendre concernant toutes ces personnalités diverses c’est qu’ils étaient tous fans de UK Garage.

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Big Apple

Uké quoi ? Garage ? Oui, Garage. Autrement dit, l’un des courants musicaux les plus importants dans l’histoire électronique Britannique. Si vous ne savez pas ce que c’est, je vous rassure vous en avez surement écouté sans le savoir. En gros le UK Garage c’est l’une des réponses des anglais aux disques de House Américains importés dans certaines raves de l’époque. Des vieux djs comme Tuff Jam ont commencé au milieu des années 90 à créer des versions « dubs » de certains vocaux de disques de house américain (et pas que) en accélérant le tempo et en demandant à des gars de la jungle de rapper par dessus. Au bout d’un moment ce fut compliqué pour les producteurs de se procurer autant de vinyles américains en raison du prix excessif de l’importation de ceux-ci en Angleterre. C’est là que le Garage fut vraiment lancé puisque beaucoup d’anglais se mirent alors à créer leur propre « House » sur cette même base « Américaine ». Le rythme s’accélère dans le son et c’est là que les lignes de basses commencent à se gonfler. Très vite le genre commence à réellement être lancé et certaines dérives extrême du son commencent à apparaitre : comme par exemple le « Speed Garage » qui accélèrent excessivement le rythme. Le genre se saborda lui-même par ailleurs.

La suite du son se trouve dans la rythmique-même. Aux alentours de 1999 le son de divise en deux catégories distinctes : le « 2-step » et le « 4×4 ». Le 4×4 ça désigne le tempo de base du son, directement puisé des vieux vinyles de house américain. En gros c’est comme la techno : le « kick » (grosse caisse) va faire « boom, boom, boom, boom » régulièrement (tous les temps sur une mesure 4/4 pour être précis). Le 2-step change cette rythmique en s’inspirant d’autres mouvements musicaux populaires et qu’on peut qualifier de « syncopé ». Autrement dit ça fera pas forcément « boom » à chaque temps précis. Ces styles là sont la Jungle, la Drum & Bass, le Breakbeat pour ne citer qu’eux. Revenons à notre 2-Step il fait quoi concrètement : et bien le Kick (le boom) ne vas pas frapper de manière aussi binaire le temps. Ouais c’est bizarre dit comme ça, mais en fait non :

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Le mouvement des rythmes « 2-Step » fut une sorte de grand frère au « 4×4 ». Le premier beat 2-step fut américain par ailleurs et on peut remonter son origine à l’année 1995. Pour la petite anecdote : Craig David a fait un morceau avec Artful Dodger et c’était du UK Garage, même du 2step au niveau de la rythmique. Vous vous souvenez de ce rappeur anglais The Streets ? Spoiler : tous ces beats de l’époque c’était du Garage aussi. Je vais m’arrêter là, la liste est longue. En gros le 4×4 à la fin des années 90 se fit un peu « écraser » par le 2step, bien que certains irrésistibles nordistes persisteront avec les rythmiques 4×4, ce qui donnera bien plus tard naissance à la scène « Niche‘ qui plus tard sera rebaptisé en « Bassline‘. Le Grime est apparu à cette même époque, dans un premier temps pour transformer le son puis pour laisser réellement le champ libre aux Mcs, mais pas de manière aussi « smooth » que dans les racines du ukg « classique ». En terme de production-même, les anglais ont su se ré-approprier correctement le genre puisque ils l’ont bourré d’effet Dub, eux même étant beaucoup influencés par cette scène déjà très présente sur le territoire. Beaucoup d’aficionados du Ukg de l’époque ont très mal vu l’émergence de toutes ces mutations du genre qui furent jugés plus sombres et violentes que leurs racines.

Pour faire court, l’histoire de Big Apple peut se résumer à ça : une bande de potes voulant continuer de transformer le garage qu’ils entendent tous les jours en quelque chose de plus sale et dégueu. Le terme « Dubstep » est apparu plus tard pour désigner de manière précise le son de toute cette frange : « Dubber les rythmes 2-step, Dub … 2-step … Dubstep ! ». Notre bande de Croydon ne furent pas les seuls à produire de cette manière, d’autres avaient déjà commencé le travail comme El-B, Oris Jay ou encore Zed Bias. Au début des années 2000, notre bande était déjà dans cette optique de faire du Garage plus sombre. Je vous invite à écouter le son « Sounds Of The Future » de Menta (l’un des alias de Artwork) qui en gros intégrait des éléments un peu « techno » à la rythmique UKG ainsi qu’une ligne de basse plus costaud. Artwork parle beaucoup de l’influence qu’a eu Benny Ill sur la manière de faire le genre. Un jour Benny a débarqué au studio Big Apple pour leur faire écouter du son  » Hey les gars j’ai fait du Garage, vous voulez écouter ? » Sauf que le Garage de Benny Ill de l’époque… c’était quelque chose : et ce quelque chose n’est autre que le squelette même du mouvement Dubstep qui déferlera par la suite. La rythmique garage 2-step comporte le kick sur le mauvais temps, pleins de samples de films de série B mélangés et une ligne de basse monstrueuse inspirée de celles du mouvement reggae / dub. Hatcha fut le premier à jouer des morceaux de Horsepower Productions (le groupe de Benny Ill) dans une soirée UKG de l’époque : la FWD (autrement dit l’ancêtre des premières soirées « Dubstep » et appartenant au groupe Ammunition). Suite à ce choc dans l’univers du UKG toute notre bande s’est trouvé un entrain pour faire leurs propres morceaux de garage – « mutants ». Pour la petite anecdote, le fameux Skream alors agé de 15 ans à cette époque passaient ses journées au magasin pour voir son grand frère Hijak mais aussi surtout pour regarder Benny Ill produire ces morceaux. Benny Ill fut clairement une sorte de prédécesseurs de toute la scène, dans sa manière de produire. C’est ici que commence la discographie Big Apple…

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Le comptoir Big Apple en 2004

Il fallait un premier espace pour diffuser ces expérimentations : Big Apple Records est ainsi né. Le premier ep est signé Artwork avec 4 morceaux qui sont désormais cultes. « Red » vous restera dans la tête à chaque écoute que vous lui accorderez, et chose incroyable c’est le groove de tous les éléments du son qui vous restera et pas que certains éléments comme le synthé, la basse ou la rythmique. La deuxième sortie voit l’arrivée officielle de Benga avec « Skank » et « Dose », deux morceaux dont la rythmique frôle entre grime et garage mais dont la froideur est sans pareille. Quand on sait qu’il n’avait que 16 ans au moment de la sortie du vinyle, on comprend mieux la carrière qui l’a suivi juste après. La troisième viendra greffer Skream aux productions de Benga et c’est peut-être ici l’un des disques les plus importants du genre. « The Judgement » fut une claque monumentale pour beaucoup de monde. En effet tout est maitrisé de bout en bout : le sample d’O’Brother avec ses fameux chants de la scène du Ku Klux Klan, le roulement du beat précis qui rebondit à merveille avec les différents effets associés à la basse qui sonne entre dub et grime de l’époque. Ce mélange judicieux a posé les bases du genre, rejoignant celles établies par Benny Ill. D’ailleurs Skream passaient beaucoup de temps avec Benny durant son adolescence, temps durant lequel il a pu apprendre énormément en production : souvenez-vous Benny est ingénieur du son, de base. Suite à leur rencontre avec Benga, les rumeurs disent qu’ils passaient des heures à se faire écouter leur morceaux au téléphone tous les soirs en se donnant des conseils.

En 2004 le label sort un ep entier dédié à Digital Mystikz. Il est intéressant de noter ici que Mala et Coki produisaient déjà avant de rencontrer la team de Big Apple. Il me semble que Mala avait rencontré Hatcha suite à une rave et lui avait fait écouter leurs démos. Les 4 morceaux de l’ep sont ceux que Mala avait fait écouter à Hatcha dans sa bagnole suite à leur rencontre. Cet ep de 2004 est à ce jour un des plus violents de DMZ pour ma part, je trouve certains subs vraiment tranchants dans celui-ci que je ne retrouve plus ailleurs dans les sonorités DMZ. Les bases du son DMZ sont déjà là et on retrouve ce qui m’a toujours fasciné chez eux : l’usage de samples ou de textures vraiment travaillée et exploitées. Même si c’est deux notes, un bruit bizarre ou une trompette cassé ils arrivent toujours à le mettre en avant dans le son et en combinant parfaitement le reste de la rythmique pour le rendre hypnotique. Toujours en 2004 c’est un autre ep de notre duo phare « Skream/Benga » qui sort et continue de nous proposer leurs expérimentations garage-grimey-duby mutants. Je fais court sur cet ep car la même année est sorti le monstrueux « Jungle Infiltrator » d’un certain Loefah, qui faisait déjà parti de DMZ. On retrouve ici la formule magique qui fera de DMZ et de Loefah des légendes du genre. Cette formule à mon sens c’est le minimalisme, surtout pour Loefah qui fut le meilleur la dedans. « Jungle Infiltrator » est incroyable dans sa tension, mais j’ai toujours préféré « Life Dub » qui n’a quasiment aucune mélodie et ne joue que sur un rapport entre subs foudroyants et samples mystérieux. En 2006 c’est sans son collègue de toujours que Skream balance « Acid People ». Le morceau titre de l’ep est une boucle Dark Garage comme on en fait plus de nos jours. Et spoiler : « Who R Those Guys » est peut-être l’un des meilleurs morceaux de l’histoire. L’aventure Big Apple se terminera sur un ep de Coki dont les mots me manquent tant il est fabuleux. Pour la faire court, le brostep vient de là, ta chiasse de riddim aussi, et ton edm de merde également. Sans Coki vous ne seriez rien, et vous n’êtes rien.

Le catalogue s’arrêtera là en 2006 pour des raisons inconnues même si nous pouvons supposer sans trop se mouiller qu’il y’ a un lien avec l’arrêt du magasin, et le fait que toutes les structures propices au développement du genre étaient toutes déjà en place : comme Tempa ou DMZ Records par exemple. De nos jours beaucoup de ces légendes ont tournées le dos au genre : Skream ou Artwork qui sont dans la house maintenant. Hatcha qui n’en finit plus avec ses sonorités brostep et son label avec une direction artistique plus qu’étrange. Les rumeurs disent que Loefah demande un cachet supplémentaire si tu veux le voir jouer Dubstep maintenant. Ah ouais y’a eu Magnetic Man aussi … mais ça on va pas en parler. Mieux ne vaut jamais en parler. Mala persiste et signe, continuant dans sa vision « Soundsystem » de l’aventure avec Deep Medi, même si la qualité du catalogue commence à faiblir malgré la récente signature d’Egoless. Mais tout n’est pas perdu. À l’occasion de sa résidence au XOYO un club Londonien, Artwork vient d’annoncer récemment en Mars une soirée spéciale « Big Apple Réunion » avec des invités mystères et placée sous le signe du Dubstep. Y’a t’il des chances de revoir Skream balancer un énorme « Lemon » ? On croise les doigts les gars…

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Le duo infernal : Skream / Benga
Tracklist Rétrospective
BAM001 – Artwork – Rank
BAM002 – Benga – Dose
BAM003 – Skream & Benga – The Judgement
BAM004 – Digital Mystikz – Pathways
BAM005 – Benga – Walkin Bass
BAM006 – Loefah – Jungle Infiltrator
BAM007 – Skream – Who R Those Guys
BAM008 – Benga – Middle Man
BAM009 – Coki – The Sign